"écrire avec des contraintes"

 

=> J'ai demandé à mes amis de me donner un mot chacun, que je devrais d'inclure dans mon prochain texte.
La liste est la suivante : oursin, papa, marie-salope (note : c'est un bateau), pipe, lune, crôute, Patrick, Henri, rhubarbe, tâche, Mésopotamie, cougar, mystère, sarcastique, caligineux, déréliction, dysmorphophobie, banane, pluie, porte.

Face au grand sadisme dont ils ont fait part... J'ai essayé tant bien que mal d'en mettre le maximum...! Le voici :

 

 

Lorsque mon père me téléphona cette nuit-là, j'ai su avant même d'avoir décroché, ce qu'il se passait. Quelques jours plus tard, je le retrouvais en bas de chez lui, tous deux vêtus d'un costume de cérémonie noir. Nous avons roulé jusqu'à la maison de campagne. Après l'enterrement, je m'isole, rêveur, et revisite cette vieille bâtisse que je connais tant. Rien n'a bougé : tout est comme dans mes souvenirs. Malgré l'absence à présent éternelle de mes grands-parents, cet endroit garde les couleurs, les parfums et l'ambiance si chaleureux des vacances de mon enfance. J'arpente silencieusement chacune des pièces et je finis par m'éclipser discrètement dans le jardin. Une fois assis sur ma vieille balançoire, j'allume une cigarette et mon père me rejoint. Il ne dit rien mais je devine la retenue de ses larmes. La cigarette consumée, je me lève et le prend dans mes bras. Je lui chuchote un "je t'aime papa", n'ayant d'autres mots réconfortants à lui offrir.

Une fois tout le monde partit et une cinquantaine de poignées de main plus tard, nous nous retrouvons enfin seuls et nous décidons de passer la nuit ici. Dans mon ancienne chambre d'enfant, je retrouve une vieille caisse en bois sur laquelle est gravé "Patrick". J'esquisse un sourire et replonge dans mes anciens jouets, la tête de nouveau envahie par cette tendre époque. Je m'allonge sur mon lit d'enfant d'où dépassent mes grands pieds d'adulte. Je souris et, fixant la lune pleine et ronde qui me regarde par la fenêtre. Je suis tiré de ma rêverie par mon père qui tape timidement à la porte avant d'entrer pour regarder si j'étais déjà endormi. Il vient alors s'assoir près de moi et, sentant qu'il en a besoin, je lui raconte tous les souvenirs que j'ai ici...

Papy Henri se plaisait à me prendre sur ses genoux pour me raconter de vieilles légendes en fumant sa pipe en bois. Nous allions dans son bureau où trônait fièrement une immense bibliothèque aux portes vitrées et en bois massif. Passionné d'Histoire, ses livres retraçaient toutes les plus grandes civilisations que l'homme avait connu : l'apparition de l'agriculture en Mésopotamie, la Grèce Antique, l'Empire Romain et bien d'autres encore, n'avaient aucun secret pour lui. Il parfumait tous ses contes d'une touche de mystère et les rendaient si captivants que les journées de pluie passaient sans que je ne m'en rende compte. Je me souviens tout particulièrement des épopées de grands navires toujours dirigés par des explorateurs audacieux. Ses mots et sa voix rauque résonnent encore parfois dans mon esprit...
"Lorsque les maries-salopes naviguaient sur les mers indomptables, le temps caligineux semblait vouloir faire disparaitre à jamais les marins qui osaient s'aventurer dans ces eaux troubles. Les rares survivants finissaient échoués sur des rivages sauvages et dépérissaient rapidement: ils étaient les proies faciles de plus grands prédateurs ou se laissaient mourir, torturés par leur propre déréliction. Il ne restait alors plus que des cadavres sans nom et des navires fantômes qui pourtant prometteurs de nouveaux horizons, coulaient au fond des abimes..."

 

Une fois les histoires terminées, j'accourais dans la cuisine. Mamie faisait des crèmes brûlées à la rhubarbe et à la banane tous les mercredis après-midi. Je les regardais cuire dans le four en laissant toutes nouvelles odeurs m'envahir. Lorsqu'elle les sortait enfin, après d'interminables minutes et qu'elle les posait sur la table, leurs croutes caramélisées semblaient me narguer et affolaient mes papilles. Ma gourmandise prenait alors tellement d'ampleur que dès que leur température était redescendue, je grimpais sur la chaise en bois, attrapais les petits pots et les mangeais lentement.
Mes mains étaient bien souvent recouvertes de petites taches sucrées, que je portais aussitôt à ma bouche pour ne rien perdre de ce goûter  incroyable. Mamie restait toujours debout et je me souviens de son regard bien veillant et son sourire lorsqu'elle me regardait manger le fruit de son labeur.
Le week-end, nous allions tous les trois à la mer. Mamie restait sur la plage à lire, son grand chapeau de paille sur la tête, pendant que papy et moi partions à la pêche aux oursins. Je me rappelle qu'elle criait ses recommandations à chaque fois que je m'éloignais du bord mais je n'écoutais pas: ces petites boules avec leurs piques qui bougent me fascinaient bien d'avantage... Lorsque je revenais très enthousiaste et fier de ma pêche, je lui montrais alors mes prises. Enervée par mon imprudence et par celle de mon grand-père, elle répondait d'un ton sarcastique "qu'avec ça, on allait au moins manger pendant trois jours"... 

Mon voyage dans le temps est soudain interrompu par le bâillement de mon père. Il sourit, me remercie de lui avoir rappelé à quel point ses parents étaient formidables et part se coucher. De nouveau allongé, je souris à mon tour avant de plonger dans un profond sommeil...



Childhood Memories by dare2move 

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