Je n'ai ni bu, ni mangé, ni dormi. Je ne me souviens pas d'avoir vécu. Tout ce dont je me rappelle c'est qu'un jour, j'ai aimé. Je ne sais plus quand mais mon corps et mon esprit s'en souviennent eux. Je sais aussi que ça fait longtemps que je suis là. Je connais chaque recoin, chaque centimètre et chaque défaut de mes quatre murs blancs. Je sais que mon espace vital se réduit à mon lit. Tout est blanc ici, même mes vêtements. ça fait mal aux yeux au début mais on s'y habitue et on finit par trouver ça gris.

Je ne suis pas folle. Enfin si un peu, mais je ne suis pas bête. Je sais où je suis. Je l'ai même lu sur la porte du directeur une fois.

Ils ne me comprennent pas. Ils ne comprendront jamais. Ils disent souvent que je suis "absente" et qu'ils m'ont perdus. 

Pourtant je suis toujours dans ma chambre. Ou dans la pièce plus petite au fond du couloir où les murs sont comme des coussins, mais j'y vais uniquement quand je me mets à penser à voix haute et que je finis par hurler pour me faire entendre.  C'est vrai que je passe tout mon temps à regarder dans le vide et je fais croire que je ne vois rien et n'entends rien. S'ils savaient. Ils croient aussi que j'avale vraiment tous leurs cachets. Bon sang que ces gens sont bêtes et naïfs. Je les vomis dès qu'ils ont le dos tourné. J'ai dû boucher leurs canalisations depuis le temps et ils ne s'en sont même pas aperçu.

Mais ça me plait d'être ici. C'est toujours mieux que dehors. Ici j'ai perdu du poids, je ne fais pas ma lessive et on me laisser penser à ce que je veux, j'ai cinq mètres carrés pour moi toute seule et la bouffe n'est pas trop dégeulasse.

Et surtout, surtout... Je ne le vois pas. Je ne le sens pas. Je ne le touche pas. C'est pour ça que je suis ici. Pour que mes sens soient privés de lui. Ils ont compris que le problème venait de ça quand au début, ils me l'ont amené. Je me suis levée de mon lit de moi même pour la première fois et je me suis mise à courir vers lui et je lui ai mis mon poing dans la figure. Les soldats bleus comme je les appelle, m'ont attrapé par les bras et m'ont soulevé pour me ramener à ma chambre. J'ai hurlé de toutes mes forces et avec toute ma rage son prénom. Je crois bien que ça a résonné dans tout l'étage.

Le médecin m'a demandé un jour pourquoi après ça, je m'étais  mordu les avant-bras jusqu'au sang, griffé ma plupart de mon corps et commencé à me cogner la tête contre les murs. S'ils  ne m'avaient pas fait avaler de force leurs gélules j'aurais pu répondre, mais à cause de ça, je ne m'en souviens plus. Mon corps lui s'en souvient. 

Heureusement que lui, il a plus de  mémoire que moi et qu'il me le rappelle sans arrêt. Chaque marque qu'il porte ne me fait pas oublier que c'est à cause de cet homme que j'ai aimé et qui m'a aimé autrefois, que je suis ici.

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